du p'tit Grain de Folie

du p'tit Grain de Folie Petit Levrier Italien

Petit Levrier Italien

MEDITATION DE LAMARTINE SUR LES PLI

Petites méditations de Fido, fidèle Petit Lévrier Italien

d'Alfonse de LAMARTINE



Il me nomme Fido, je l'appelle Alfonso.

Avec lui, j'ai vu la Grèce, Smyrne,

Constantinople, Rhodes,

Beyrouth, Jérusalem.

Je partage ses peines, ses amours et ses rêves;

De ses sept lévriers, je suis le préféré.

Sur ma tombe, peut-être, il écrira ces mots:

La chaîne à mille anneaux va de l’homme â l’insecte :

Que ce soit le premier, le dernier, le milieu,

N’en insultez aucun, car tous tiennent à Dieu !

 

Vous trouvez surprenant que moi, un chien, je parle.

Et plus encore que je versifie, même si, et de loin, je n'égale pas mon maître.

Ne dites-vous pas, cependant, de votre compagnon à quatre pattes: il ne lui manque que la parole? Et ne considérez-vous pas que, comme vous, il aime, souffre, se réjouit, a même de l'humour?

Alfonso m'a appris à parler, mieux qu'aux stupides perroquets, qu'aux incultes mainates. Mais il ne le sait pas: il a été mon instituteur à son insu. Avec lui je communique comme les chiens sans éducation, en aboyant, grognant, jappant, gémissant. Parfois, je souffle, d'un air accablé; s'il vient de me lire un poème, il prend ceci pour une critique. Je ne le démens pas.

Il m'emmène chasser, pour mon plaisir, pas pour le sien: souvent il tire en l'air, par pitié pour l'oiseau, le lièvre qui tremble devant son fusil.

Les heures que je préfère sont celles que je passe avec lui quand, dès avant l'aube, il écrit. Souvent, il s'interrompt, me lit quelques vers, quelques lignes. Sur mon canapé, je dresse la tête vers lui, fais mine de m'intéresser à ce qu'il dit lorsqu'il compose ses longs ouvrages historiques, l'Histoire des Girondins, l'Histoire de la Turquie par exemple.

J'apprécie plus sa poésie. Mais mon plaisir suprême est de l'entendre parler de politique et de métaphysique.

J'aimerais l'imiter, composer un ouvrage sur les droits des animaux, dont il pourrait s'inspirer. Mais je ne sais pas écrire. Et puis, révéler que je pense, que je parle me fait peur. Ne risquerais-je pas, en sortant de ma condition et de mon silence, de me retrouver dans un cirque?

 

Je ne sais comment un chat que je connais (une simple relation, pas un ami) a réussi à faire paraître récemment, sous le nom d'Hippolyte Taine, son maître, un livre scandaleux intitulé: Vie et opinions philosophiques d'un chat. On peut y lire notamment ceci:

 


Le chien est un animal si difforme, d'un caractère si désordonné, que de tout temps il a été considéré comme un monstre, né et formé en dépit de toutes les lois. En effet, lorsque le repos est l'état naturel, comment expliquer qu'un animal soit toujours remuant, affairé, et cela sans but ni besoin, lors même qu'il est repu et n'a point peur? Lorsque la beauté consiste universellement dans la souplesse, la grâce et la prudence, comment admettre qu'un animal soit toujours brutal, hurlant, fou, se jetant au nez des gens, courant après les coups de pied et les rebuffades? Lorsque le favori, et le chef-d'oeuvre de la création, est le chat, comment comprendre qu'un animal le haïsse, coure sur lui sans en avoir reçu une seule égratignure, et lui casse les reins sans avoir de manger sa chair?

Ces contrariétés prouvent que les chiens sont des damnés; très certainement les âmes coupables et punies passent dans leurs corps. Elles y souffrent: c'est pourquoi ils se tracassent et s'agitent sans cesse. Elles ont perdu la raison: c'est pourquoi ils gâtent tout, se font battre, et sont enchaînés les trois quarts du jour. Elles haïssent le beau et le bien: c'est pourquoi ils tâchent de nous étrangler.


 

Vous n'imaginez pas, sans doute, que je vais prendre la peine de polémiquer avec cet individu. Il me serait facile, pourtant, de me gausser de cette race féline, qui n'a d'autre utilité sur terre que de manger quelques souris, quelques rats; et je pourrais ajouter, perfidement, qu'ils ne les mangent pas toujours, se contentant, si l'on peut dire, de jouer au chat et à la souris.

Combien la race canine est plus utile!!!

Chiens de traîneau, chiens d'aveugles, chiens secouristes, chiens de guerre même; nous gardons les troupeaux, les propriétés, on nous utilise même à tracter des véhicules.

 

Quant à moi, qui ne suis qu'un animal dit de compagnie, ma mémoire sera éternelle. Dans Jocelyn, en effet, mon maître a écrit ces lignes, un peu grandiloquentes à mon goût, que je ne cite que parce qu'elles dépassent, et de loin, mon humble personne:


Ô mon chien ! Dieu seul sait la distance entre nous ;

Seul il sait quel degré de l’échelle de l’être

Sépare ton instinct de l’âme de ton maître ;

Mais seul il sait aussi par quel secret rapport

Tu vis de son regard et tu meurs de sa mort,

Et par quelle pitié pour nos cœurs il te donne,

Pour aimer encor ceux que n’aime plus personne.

Aussi, pauvre animal, quoique à terre couché,

Jamais d’un sot dédain mon pied ne t’a touché ;

Jamais, d’un mot brutal contristant ta tendresse,

Mon cœur n’a repoussé ta touchante caresse.

Mais toujours, ah ! toujours en toi j’ai respecté

De ton maître et du mien l’ineffable bonté,

Comme on doit respecter sa moindre créature,

Frère à quelque degré qu’ait voulu la nature.

Ah ! mon pauvre Fido, quand, tes yeux sur les miens,

Le silence comprend nos muets entretiens ;

Quand, au bord de mon lit épiant si je veille,

Un seul souffle inégal de mon sein te réveille ;

Que, lisant ma tristesse en mes yeux obscurcis,

Dans les plis de mon front tu cherches mes soucis,

Et que, pour la distraire attirant ma pensée,

Tu mords plus tendrement ma main vers toi baissée ;

Que, comme un clair miroir, ma joie ou mon chagrin

Rend ton oeil fraternel inquiet ou serein,

Que l’âme en toi se lève avec tant d’évidence,

Et que l’amour encor passe l’intelligence ;

Non, tu n’es pas du cœur la vaine illusion,

Du sentiment humain une dérision,

Un corps organisé qu’anime une caresse,

Automate trompeur de vie et de tendresse !

Non ! quand ce sentiment s’éteindra dans tes yeux,

Il se ranimera dans je ne sais quels cieux.

De ce qui s’aima tant la tendre sympathie,

Homme ou plante, jamais ne meurt anéantie :

Dieu la brise un instant, mais pour la réunir ;

Son sein est assez grand pour nous tous contenir.

Oui, nous nous aimerons comme nous nous aimâmes.

Qu’importe à ses regards des instincts ou des âmes ?

Partout où l’amitié consacre un cœur aimant,

Partout où la nature allume un sentiment,

Dieu n’éteindra pas plus sa divine étincelle

Dans l’étoile des nuits dont la splendeur ruisselle

Que dans l’humble regard de ce tendre épagneul

Qui conduisait l’aveugle et meurt sur son cercueil ! ! !



Oh ! viens, dernier ami que mon pas réjouisse,

Ne crains pas que de toi devant Dieu je rougisse ;

Lèche mes yeux mouillés, mets ton cœur près du mien,

Et, seuls à nous aimer, aimons-nous, pauvre chien !


 

Les larmes me montent aux yeux. Je m'arrête: c'est l'aube. Vous entendez, comme moi, le sombre merle débiter ses trilles, de lui seul comprises, mais qui charment peut-être, à la fin de la nuit triste, une belle de son espèce, un Faust épuisé par les veilles.

Où avais-je la tête? J'ai oublié de vous dire le nom de mon maître: Alphonse de Lamartine, se disant poète.